On se doute pourtant qu'Hergé, loin de reprendre mécaniquement ce sujet ultra-classique, va s'empresser de se l'approprier et d'en faire le point de départ d'un récit original. Au lieu d'envoyer Tintin dans une contrée où la présence d'un reporter pourrait se justifier, il va remonter dans le temps et grimper dans l'arbre généalogique d'Haddock. Celui-ci va se découvrir un illustre et courageux ancêtre. Il aura aussi hérité de ses qualités et d'un trésor, à la poursuite duquel ils se lanceront.

Le Secret de la Licorne, dont Hergé disait parfois qu'il était celui de tous ses albums qu'il préférait, explore la partie précédant le voyage avec une extraordinaire virtuosité narrative. Très habilement, Hergé mêle ici trois récits, dont les fils vont se rejoindre pour donner la solution, de même que devaient être superposés les trois parchemins pour indiquer l'emplacement de La Licorne.

Le premier élément est la recherche, par Tintin et le capitaine, des trois modèles réduits du vaisseau La Licorne et leur lutte contre les autres amateurs.

Le deuxième est l'enquête sur les vols de portefeuilles dont sont chargés les Dupondt et qui s'acquittent de cette mission avec toute la dextérité que l'on pouvait attendre d'eux, est une apparente diversion qui ne se relie au thème principal qu'au tout dernier instant.

Le troisième élément est l'histoire de l'ancêtre de Haddock, le Chevalier François de Hadoque qui vécut sous le règne de Louis XIV. Haddock prend ici une dimension insoupçonnée, et c'est assurément l'un des traits les plus importants du Secret de La Licorne que cette véritable consécration du compagnon de Tintin. Le capitaine est en effet le seul personnage de la série à se trouver crédité d'un ancêtre, c'est-à-dire d'une histoire. Et quel ancêtre que celui de Haddock ! Un personnage truculent et haut en couleur qui utilise déjà avec plusieurs siècles d'avance le vocabulaire de son futur descendant.

Une question que n'auront pu manquer de se poser les innombrables lecteurs d'Hergé est celle qui concerne le vaisseau La Licorne. La précision du dessin est telle que l'on se doute bien que l'improvisation était hors de question. Et de fait, c'est un important travail de documentation qui a servi de point de départ.

Si La Licorne ne correspond exactement à aucun bateau précis, elle fut par contre inspirée à Hergé par plusieurs vaisseaux au sujet desquels il avait pu observer des documents à Paris, au Musée de la Marine. De ces différents navires, il tenta ensuite de réaliser une synthèse afin de pouvoir faire voguer un bateau en tous points selon son cœur.